Résumé

Emily Rosenberg propose une perspective historique et comparative du modèle américain de consommation de masse en interrogeant les différentes échelles (nationales et internationales) mobilisées dans le déploiement de ce système d’organisation des rapports marchands. Ce modèle auquel adhère, non sans critiques, la société américaine de l’entre-deux guerres via l’essor de la publicité, devient un enjeu de l’affrontement idéologique entre les États-Unis et l’URSS durant la guerre froide. La diffusion de l’« American Way of Life », qui accompagne la reconstruction de l’Europe et sert de contrepoint au communisme, démontre sa remarquable flexibilité et lui permet de se traduire moins par une « américanisation » des modes de vie que par un déploiement d’un consumérisme multi-local s’adaptant à tous les contextes nationaux. La montée en puissance récente de la Chine permet à l’auteur de souligner combien cette dernière travaille à une acclimatation des éléments principaux de la consommation de masse tout en maintenant une tension ouverte entre les intérêts nationaux et les enjeux internationaux.

 

Le « modèle américain » de la consommation de masse

Emily S. Rosenberg
Traduction de Romain Huret

 

Référence électronique: Emily S. Rosenberg« Le « modèle américain » de la consommation de masse », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 108 | 2009, mis en ligne le 01 avril 2012, consulté le 27 janvier 2022URL : http://journals.openedition.org/chrhc/1809 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.1809.

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Mots-clés : commerce, consommation, idéologie, publicité

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1 Cet article propose une interprétation de l’histoire du modèle américain de consommation de masse, à la fois aux États-Unis et à l’échelle du globe. Je définis la consommation de masse comme une production de masse et un système de vente de masse qui suppose une disponibilité toujours plus grande de biens dans une culture qui privilégie l’achat et la vente, le désir, le glamour et des identités souples et consuméristes. Même si cet article s’appuie et emprunte des éléments au champ naissant des études sur la consommation1, son propos se limite aux manifestations de consommation de masse associée communément à l’Amérique au cours du vingtième siècle.

2 La consommation de masse se développe parallèlement à deux autres phénomènes spécifiques de l’Amérique de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle : la production industrielle de masse et les techniques de psychologie des masses, fondées sur de nouveaux supports médiatiques et des outils psychologiques adaptés. Même si la consommation de masse n’est pas une donnée exclusivement américaine, comme l’ont montré les travaux parmi d’autres de Lisa Tiersten et Victoria de Grazia, les États-Unis constituent ce que de nombreux observateurs perçoivent comme le modèle le plus dynamique, et éventuellement le plus menaçant. Les discours sur « l’américanisation » et la consommation de masse sont devenus étroitement imbriqués tout au long du vingtième siècle. Pourtant, je vais montrer qu’à la fin du siècle ces liens discursifs sont devenus moins évidents, en raison de la prolifération des imaginaires consuméristes au niveau local et de la diversité des rituels symbolisant les aspirations nationales et individuelles. Dans cette analyse, je n’envisage pas la consommation de masse à travers le paradigme de l’américanisation ou par le biais du paradigme inverse du triomphe des spécificités locales. Je souhaite montrer au contraire que la consommation de masse n’est pas un élément transhistorique de pratiques matérielles et culturelles, mais qu’elle doit être étudiée en fonction de chaque période et de chaque lieu2.

3 Cet article s’intéresse particulièrement aux caractéristiques du modèle américain de consommation de masse tel qu’il s’affirme aux États-Unis au cours du vingtième siècle. Ce modèle américain se développa comme une réponse aux problèmes de la richesse et de la nécessité de trouver sans cesse de nouveaux marchés. L’article se penche ensuite sur l’exportation des images et des biens américains, alors que les dirigeants américains choisissaient d’exporter leur mode de consommation de masse dans l’ensemble du monde. Il montre alors que dans les années 1970 et 1980, l’attrait de la consommation de masse devint très varié et adapté au « local », un processus connu sous le terme de « glocalisation » ou « multi-localisme » 3. En conséquence, la consommation de masse ne connotait plus automatiquement « l’américanisation », comme il le fit pour une grande partie du vingtième siècle. La diffusion d’une consommation multi-locale joua un rôle important dans la fin de la guerre froide. L’article se termine en suggérant que la consommation de masse fut en pratique très souple pour séduire toutes les cultures, même si elle continue à refléter une conception anachronique, datant de la fin du xixe siècle américain, reposant sur le besoin de stimuler une demande ininterrompue dans un monde de ressources abondantes.

Le modèle américain de la consommation de masse

4 À la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, le modèle américain de consommation fut le fruit de circonstances et d’héritages très particuliers. Cette consommation avait des caractéristiques distinctes.

Contexte historique

5 Tout d’abord, le modèle américain de consommation de masse dépendit de l’utilisation intensive des ressources naturelles du continent, considérées alors comme inépuisables4. Dans un deuxième temps, les entrepreneurs recherchèrent des solutions technologiques pour faire face aux vastes distances continentales du pays et à son manque relatif de force de travail. La société de consommation émergente reposait sur des innovations technologiques qui accélérèrent les révolutions dans les transports, les communications et la production de masse. À la fin des années 1890, la révolution des transports (et donc du marketing) et l’économie de main-d’œuvre dans l’agriculture et l’industrie ont créé un grand nombre des gigantesques entreprises américaines dont les noms – et les biens de consommation – allaient devenir célèbres au cours du siècle suivant5. Le marché intérieur en cours d’émergence accéléra un système de distribution qui pourrait facilement s’étendre au-delà des frontières américaines.

6 En fait, la capacité de production des États-Unis devint si vaste que lorsqu’une phase globale de contraction économique créa un cycle de dépression dans les années 1890, les hommes d’affaires, les politiciens et les journalistes conclurent tous que la surproduction (et pas la rareté des biens) était devenue le principal problème social du temps. Utilisant cette étonnante richesse, l’Amérique contredisait les discours scientifiques dominants en Europe, reposant sur l’idée de rareté économique. Simon Nelson Patten, par exemple, estimait que « la période de rareté » a été remplacée par une « ère de richesse » au sein de laquelle les travailleurs pouvaient s’enorgueillir de leur mobilité ascendante et élargir leurs horizons. Dans de nombreux ouvrages, dont The New Basis of Civilization (1907), Patten estimait qu’une plus grande richesse pouvait être le moteur d’un processus de civilisation global6. Trouver des acheteurs pour les biens produits en masse devint une préoccupation majeure pour les exportateurs et les politiciens américains, et de nombreux historiens ont estimé que l’attirance vers de potentiels marchés à l’étranger avait été à l’origine de la politique étrangère américaine à l’orée du vingtième siècle7. La conquête de marchés, aussi bien à l’étranger qu’à l’intérieur, devint essentiel pour la prospérité et la croissance.

7 Les innovations dans la nouvelle profession de la publicité offrirent la possibilité d’ajuster la révolution de la production à la demande des consommateurs. Plus particulièrement après la Première Guerre mondiale, les publicitaires commencèrent à entonner un refrain qui allait devenir un hymne de la profession : la prospérité de la nation repose sur leur habileté à stimuler à l’aide d’images des niveaux plus élevés d’achat et de consommation. De façon similaire, certains chefs d’entreprise furent convaincus que la consommation de masse était le jumeau de la production de masse. Avec succès, Henry Ford incarna cette idée lorsqu’il prôna d’utiliser la technologie de la chaîne de production pour abaisser brutalement les coûts à l’aide de la standardisation pendant que, dans le même temps, les salaires étaient augmentés pour permettre aux travailleurs d’acheter les voitures. Le « niveau de vie américain » devint une expression galvaudée, connotant une fusion entre une solide capacité de production et un ensemble de conventions pour les consommateurs qui permettaient aux individus de se sentir appartenir à la classe moyenne et à la modernité8.

8 Plus encore, l’absence d’une noblesse héréditaire et d’un système rigide de classe en Amérique permit l’émergence d’un ethos où l’acquisition matérielle pouvait devenir l’indicateur dominant d’appartenance sociale. Dans des pays connaissant une plus grande disparité dans la distribution des richesses et moins de mobilité sociale, l’acquisition ostentatoire ou l’étalage de biens par les plus pauvres ou les classes moyennes étaient souvent assimilés à de la prétention ou du mauvais goût. À l’inverse, un tel comportement aux États-Unis était perçu comme un signe d’avancement personnel. Les dirigeants, dans les médias, le monde du spectacle ou dans l’industrie publicitaire visaient souvent les sous-cultures (sub-cultures) des immigrants, développaient les imaginaires des consommateurs assimilant les achats à des moments d’affirmation de soi. Les biens de consommation se dotaient de qualités humaines, signifiant du glamour, des loisirs et du respect.Le modèle américain de consommation de masse, si bien adapté à la grande diversité et à la mobilité de la société, s’entrelaça avec des définitions singulières de la « liberté » personnelle et de la culture politique de la « démocratie ». La consommation de masse et le divertissement de masse façonnèrent le « rêve américain » d’une mobilité ascendante et d’une richesse sans cesse renouvelée.

9 Enfin, la consommation, à la mode américaine, se développa en même temps que se formait une « communauté imaginaire » fondée sur une population diverse qui était divisée par la langue, des coutumes et une histoire. Pendant un demi-siècle, entre 1880 et 1930, 27 millions d’immigrants entrèrent aux États-Unis. Confronté à la diversité des langues et des coutumes, le système de production et de consommation de masse, qui prit son essor après la Première Guerre mondiale et promit des niveaux de plus en plus élevés de richesse matérielle, présenta les biens comme des marqueurs culturels de l’identité nationale aussi bien qu’individuelle. La consommation des biens offrit un ensemble de références, permettant aux gens vivant aux États-Unis de s’identifier comme « Américains », un phénomène que Charles McGovern a appelé « le nationalisme matériel ». La consommation devint un instrument efficace d’américanisation, notamment pour les ouvriers, immigrants de première ou deuxième génération9.

10 Un nombre croissant de biens et de distractions permirent au consommateur de s’identifier autour de formes de confort, de loisirs et de centres d’intérêts, plutôt qu’en fonction des sociabilités traditionnelles, fussent-elles régionales, ethniques ou familiales. Entre 1900 et 1930, la croissance des parcs de loisirs, des salles de cinéma et des salles de danse amenèrent les jeunes à quitter leurs quartiers en utilisant les tramways et, de plus en plus, les automobiles. De nouveaux rituels de drague et de nouvelles formes de lieux de travail accompagnèrent le relâchement du contrôle parental. Plus particulièrement, la vie des femmes changea fortement. En 1920, les femmes obtinrent le droit de vote, une revendication ancienne des féministes. De manière tout aussi importante, de nouvelles formes d’indépendance apparurent avec les salaires et l’accession plus facile à la mode et au maquillage. La mobilité, les brassages des individus et les loisirs, au gré des rencontres et des hasards, devinrent les caractéristiques d’une société de consommation en cours d’éclosion, où les femmes jouaient un rôle de plus en plus décisif10. Les commerçants séduisaient les acheteurs avec de splendides étalages et de la nourriture pré-emballée qui promettait une meilleure hygiène et une préparation plus facile. L’identification aux marques Coca-Cola, Kellogg Cereals, Swift meats, White Castle hamburgers, créa de nouvelles communautés de consommation11.

11 Au cours du vingtième siècle, la consommation offrit une sémiotique mouvante d’inclusion et d’exclusion de la communauté imaginaire américaine. Les loisirs et les produits de la culture du consommateur américain définirent des idées sur la démocratie et contribuèrent à effacer certaines divisions ethniques et de classe. En participant à la République des consommateurs au début du vingtième siècle, les Irlandais, les Italiens, les Européens de l’Est et les Juifs devinrent lentement « blancs » et « Américains ». Certes, les individus en provenance d’Afrique, d’Asie, parlant en espagnol, ou d’origine indienne se sentaient fortement exclus de ce nationalisme. Après la Seconde Guerre mondiale, pourtant, les images de la communauté nationale changèrent progressivement. Des groupes perçus autrefois comme différents étaient désormais les bienvenus comme les membres d’une vision élargie de cette nation de consommateurs. Plus encore, au cours des années 1970 et 1980, les publicitaires s’attachèrent à séduire les minorités ethniques en segmentant le marché, invitant les Irlando-Américains à s’envoler vers l’Irlande et les Afro-Américains à acheter des Barbies noires. Être « américain » à la fin du vingtième siècle, presque par définition, signifiait avoir des « racines » dans d’autres régions du globe12. La consommation de masse, alors, n’était pas seulement centrale dans la vie économique moderne américaine mais construisait et reconstruisait des représentations identitaires et citoyennes.

Publicité

12 La profession émergente de publicitaire se développa en même temps que les révolutions dans les médias et les communications13La circulation en masse de magazines, suivie plus tard par celle des programmes de radio et de télévision, reposait sur les revenus de la publicité. Présentant leur profession comme essentielle au maintien des niveaux élevés de production et de cohésion sociale, les publicitaires utilisèrent et améliorèrent toute une panoplie de techniques. Plus tôt dans le siècle, ils prétendaient éduquer les acheteurs potentiels au sujet des produits. Leurs publicités initiales, destinées à des supports papiers, présentaient de larges paragraphes d’information écrites expliquant les « raisons » pour lesquelles l’achat du produit serait bénéfique au consommateur. Le style américain de publicité didactique et hautement utilitaire se différenciait des posters plus artistiques et riches en images qui prévalaient dans la publicité en Europe.

13 De plus en plus, pourtant, les publicitaires américains se tournèrent avec succès vers des messages de plus en plus courts, mélangeant « l’information » avec des messages jouant sur le sensible. Thomas Hine a chiffré à neuf le nombre de « passions » susceptibles de motiver l’achat : le pouvoir, la responsabilité, la découverte, l’expression de soi, l’insécurité, l’attention, l’appartenance, la célébration et la disponibilité. Cherchant à stimuler de telles motivations, les publicitaires améliorèrent toute une série de techniques : répétition, utilisation de métaphores, insertion dans une structure narrative dramatique et attractive (« drame social »), recours aux discours d’autorité (experts, célébrités, tradition nationale et histoire) et association avec des choses agréables.

14 Au cours des années 1920, la publicité devint un art de suggestion psychologique. Elle avait pour but de transformer l’adhésion et la loyauté à un produit de telle manière que ces dernières semblent être le résultat d’un choix personnel et délibéré. Plus encore, les publicitaires américains estimaient que leur rôle social dépendait davantage de l’offre de produits spécifiques aux consommateurs que de la construction de groupes d’acheteurs dont la loyauté pouvait alors être vendue aux producteurs. Sous l’influence de pionniers de la publicité comme Edward Bernays, les publicitaires utilisèrent les nouvelles techniques fondées sur la psychologie et les enquêtes sociales. Alors que les publicités dans la tradition européenne continuaient pour l’essentiel à associer les produits avec des images artistiques qui plaisaient aux chefs d’entreprises, les Américains cherchèrent à comprendre ce qui pouvait motiver les consommateurs, leurs besoins et leurs désirs14.

15 Les nouvelles techniques de recherche sur le marché, qui se mettaient en place au cours des années 1920, mettaient en évidence que les femmes contrôlaient les décisions d’achat pour environ 80 % et étaient les principaux agents de consommation. Les produits pour la maison, les cosmétiques et les vêtements féminins étaient très présents dans les publicités, mais les femmes étaient ciblées aussi pour de nombreux articles masculins comme les habits ou les affaires de toilette. À la fin des années 1920, pour accroître leurs ventes, les entreprises automobiles General Motors et Ford renforcèrent leur stratégie commerciale en direction des femmes, insistant sur le style, la beauté et la couleur. Les publicitaires présentaient les hommes comme des producteurs et les femmes comme des consommateurs, représentation qui associait les actes d’achat avec le féminin et les caractéristiques supposées féminines comme l’émotivité, l’impulsivité et l’irrationalité15.

16 En plus de développer des techniques qui pourraient créer des liens émotionnels entre les acheteurs et certains produits, les publicitaires développèrent des slogans destinés à accroître la quantité d’achat. Pour pousser à offrir des cadeaux, ils retravaillèrent les fêtes nationales (Noël, Pâques, Saint-Valentin) et en inventèrent de nouvelles (la Fête des mères, la Fête des pères, le jour du Président). Les vacances comme les loisirs furent désormais associés avec les courses. Plus encore, la pratique d’acheter à crédit se diffusa dans l’économie. En complément, le concept d’obsolescence planifiée et les fréquents changements de style conduisirent les acheteurs à remplacer leurs produits plus rapidement. Pour de nombreux produits, la durée et la longévité devinrent moins importants que les prix modestes et la disponibilité16. Au cours des périodes de rareté relative, notamment pendant la crise des années 1930 et pendant la Seconde Guerre mondiale, les entreprises renoncèrent à faire de la publicité pour des produits spécifiques et embrassèrent l’idée nouvelle de « relations publiques ». Cette stratégie faisait la publicité autour de l’image de l’entreprise et de ses idéaux supposés plus que des produits spécifiques.

17 Ce tournant vers des campagnes de relations publiques autour d’une image de « marque » allait s’accentuer et son contenu se sophistiquer pendant le reste du siècle. À la fin des années 1940, des recherches sur la motivation ajoutèrent l’idée que les entreprises devaient bâtir leurs marques sur des symboles au cœur de la culture médiatique moderne – suggérant comment les futurs clients allaient se sentir une fois qu’ils auraient associé leur identité avec une entreprise particulière. L’un des concepteurs de cette idée de « marque » au lendemain de la guerre fut David Ogilvy. Son travail s’attacha à développer de complexes symboles publicitaires qui ne reposaient pas sur les caractéristiques particulières d’un produit, mais sur la création d’une « identité » que le consommateur pourrait souhaiter acheter. Les publicitaires se présentaient de plus en plus comme des « managers de marque » qui visaient des « consommateurs cibles » et « la segmentation du marché ». Ils pouvaient « positionner » des « pacquages » construits patiemment et alors cibler des groupes de consommateurs parfaitement identifiés. Au cours des trois dernières années du vingtième siècle, « la publicité adaptée au style de vie » devint dominante dans les stratégies de la consommation américaine17.

18 Même si les techniques de la publicité changèrent, ses relations fondamentales avec la consommation de masse persistèrent. Les publicitaires américains, les hommes d’affaires et les syndicalistes plaidaient généralement en faveur de hauts niveaux de consommation, élément nécessaire à la prospérité et à la cohésion sociale. Attirant au-delà des divisions d’appartenance ethniques, de genre et de classe, ils embrassèrent l’American way de la « démocratie des richesses/biens » qui pouvait aider de nombreuses personnes, quel que soit leur revenu véritable, à se sentir appartenir à la « classe moyenne » et « libre ».

Critiques aux États-Unis

19 Même si les hommes d’affaires, les politiciens, et la majorité de la population américaine (qui bénéficiait d’un niveau de vie toujours plus important au cours du xxe siècle) célébraient généralement la consommation de masse, des voix critiques firent entendre une note discordante et plus sombre dans ce nouvel ordre.

20 Une série de mouvements apparurent qui recherchaient, par exemple, la régulation gouvernementale pour modérer les effets négatifs de la consommation. La régulation de la consommation de médicaments, d’alcool, de jeu ou de paris, fut-il expliqué, pouvait prévenir des comportements autodestructeurs. De plus, de nouveaux groupes de défense des consommateurs, tout en utilisant le même concept de citoyen-consommateur que les publicitaires, combattirent pour mettre en avant les « droits » des consommateurs. Ils revendiquèrent une plus grande vérité dans les publicités et des règles plus strictes quant à la sûreté des produits. Stuart Chase, dans son livre Your Money’s Worth (1927), critiqua la publicité mensongère et fit sienne l’idée de John Ruskin que le consumérisme allait créer du gaspillage. En 1929, Chase aida à la création de Consumers’Research, une organisation vouée à l’éducation des consommateurs18. D’autres critiques, émanant de certains des meilleurs commentateurs sociaux de l’époque, retrouvèrent les déplorations traditionnelles si prégnantes dans la vie religieuse et séculière. Ils exprimèrent diverses peurs au sujet de l’impact de la consommation, peurs qui revenaient sous la plume de nombreux intellectuels du monde entier. Thorstein Veblen et ses disciples dénoncèrent l’étalage ostentatoire de consommation et valorisèrent le travail manuel, la simplicité et l’honnête labeur. Ralph Borsodi, dans son livre The Ugly Civilization (1929), mit en avant les idées selon lesquelles la production industrielle et la culture de masse menaçaient l’individu, fragilisaient la vie familiale, et transformaient l’existence en quête permanente d’argent. Dans son roman, Babbitt (1922), Sinclair Lewis décria le vide et la pauvreté spirituelle qui résultaient des slogans capitalistes. Walter Lippmann, dans Public Opinion (1922), se demandait si le public formé dans une culture de mass medias n’allait pas se comporter comme un « troupeau sauvage » et en conséquence menacer les valeurs essentielles de la démocratie.

21 La « génération perdue » des écrivains et des artistes américains, dont beaucoup abandonnèrent leur pays pour Paris après la Première Guerre mondiale, exprimèrent des critiques esthétiques et artistiques contre la sous-culture nourrie par la consommation de masse. Des communautaristes et des socialistes essayèrent de rappeler le sort de ceux que la société de consommation laissait de côté et dénoncèrent la façon dont l’abondance de biens privés s’accompagnait de la misère dans le domaine des équipements publics. D’autres encore s’inquiétaient des conséquences spirituelles et physiques de l’angoisse associée au travail industriel taylorisé, automatisé et à la quête sans fin de biens matériels. Beaucoup de ces critiques mettaient en avant un discours profondément genré, identifiant les maux et les excès de la consommation aux femmes et aux attributs de la féminité19.

22 Pendant les années de croissance consécutives à la Seconde Guerre mondiale, une critique virulente de la publicité, et de son corollaire la consommation excessive, se diffusa largement. Des romans célèbres et des films comme The Hucksters (1947, tiré d’un roman écrit par Frederic Wakeman) et The Man in the Gray Flannel Suit (1956, tiré d’un roman de Sloan Wilson) présentèrent les publicitaires comme des hommes froids, manipulateurs, indifférents aux valeurs morales et familiales, parfaitement symptomatiques des dysfonctionnements sociaux, voire nationaux. Dans l’argot de l’après-guerre, vendre (selling out) ne désignait pas un effort de vente couronné de succès, mais une perte des principes moraux d’intégrité pour satisfaire des besoins matériels. Des courants de l’art, de la science-fiction et de la psychologie populaire des années 1950 produisirent des visions identiques dans lesquelles un peuple matérialiste et manipulé sombrait dans un désert spirituel. Le mouvement du droit des consommateurs, que Ralph Nader et d’autres relancèrent dans les années 1960, se bâtit sur une méfiance populaire et durable contre ceux que le journaliste Vance Packard avait brillamment raillé dans The Hidden Persuaders (1957)20.

23 Les militants contre la consommation venant de toutes les régions et de toutes les couches sociales ne présentaient donc pas de position unie. Mais ils exprimaient des points de vue qui convergeaient vers une mise en garde partagée : les biens de consommation pouvaient promettre plénitude, plaisir et divertissement partagé, mais ils entraîneraient finalement l’isolement de l’individu et la désintégration de la société. Ces critiques, bien sûr, ressemblaient à celles qui allaient souvent s’élever contre les produits de consommation américains dans le monde entier. De nombreux critiques américains ont participé aux réseaux transnationaux de critique sociale. Des exilés en Amérique, proches de l’école de Francfort, par exemple, eurent beaucoup d’influence parmi les intellectuels de l’après-guerre21. À l’extérieur des États-Unis, toutefois, de telles critiques de la société de consommation furent le plus souvent désignées comme « anti-américaines ».

Exporter les produits de la consommation de masse américaine

24 En dépit de ces critiques, les produits et les images du modèle américain de la société de consommation de masse gagnèrent une présence mondiale.

Avant la Seconde Guerre mondiale

25 Dans les dernières années du dix-neuvième siècle, des milliers de personnes en vinrent à associer les images et les produits de la consommation de masse avec l’Amérique. Des produits peu chers, pratiques et standardisés – les rasoirs Gillette, les corn-flakes Quaker, les machines à coudre Singer, les chewing-gum – trouvèrent des débouchés dans le monde entier. Particulièrement attractifs dans les milieux populaires et peu dans l’élite, ils apparaissaient comme typiquement américains et soulevèrent des discussions dans de nombreux pays au sujet des conséquences possibles de la consommation/production de masse, perçues comme de « l’américanisation22 ».

26 Après la Première Guerre mondiale, les exportateurs américains envoyèrent à travers le monde une quantité toujours plus impressionnante, ou menaçante selon les points de vue, de produits de consommation. Les industriels américains se spécialisèrent dans le matériel électrique, les radios et les réfrigérateurs. Les industries automobiles, pétrolières et du caoutchouc produisirent une culture internationale de la voiture qui transformait déjà le pays en « nation des volants », provoquant à la fois fascination et peur face aux techniques du travail à la chaîne. En 1927, les États-Unis construisaient 85 % des automobiles du monde. Les marchands américains – Woolworth, Montgomery Ward, A & P – utilisèrent les principes de la production de masse avec les techniques de vente au détail et ouvrirent des succursales à l’étranger. Un ouvrage de 1929, Selling Mrs. Consumer, proclamait : « La consommation (…) est la plus grande idée que l’Amérique ait donné au monde. (…) Payez les plus, vendez leurs plus, prospérez davantage, telle est l’équation.23 »

27 L’agence de publicité J. Walter Thompson et d’autres agences accompagnèrent et firent la publicité de cette vague incroyable d’exportations. Les publicités internationales pour les merveilles made in America faisaient des États-Unis le pays de la société d’abondance pour les masses, de la nouvelle culture des loisirs, du devenir « moderne » dans lequel s’épanouiraient des femmes « modernes ». Des campagnes de publicité globales présentaient généralement les femmes comme athlétiques, libres, s’intéressant aux boutiques, prenant soin d’elles-mêmes et passionnées de mode. Les publicités pour les automobiles américaines, par exemple, montraient dans le monde entier des femmes conduisant pour leur plaisir. Dans différentes langues, ces publicités envoyaient le message suivant « Chaque jour, de plus en plus de femmes conduisent des voitures 24 ». L’énorme succès des films hollywoodiens, qui en vinrent à dominer les écrans du monde entier dans l’entre-deux-guerres, contribuait également à la diffusion des images célébrant le mode de vie des consommateurs américains. Les portraits de la femme « nouvelle » ou de la fille « moderne », portant les talons hauts, une coupe à la garçonne, et aimant les plaisirs urbains influencèrent le style de la modernité partout dans le monde. En 1932, Dorothy Shaver, du grand magasin new-yorkais Lord and Taylor,lança même un défi à la France, qui dominait l’industrie de la mode, en créant un « style américain » avec des habits simples, prêts à porter, produits en masse et à bon marché25. Pour des milliers de personnes dans le monde, « l’Amérique » perdit sa spécificité géographique et devint presque le synonyme, à la fois accepté et craint, d’une richesse de produits standardisés, peu chers, pour des femmes indépendantes.

Consommation et guerre froide

28 La Seconde Guerre mondiale permit au pays de sortir de la crise, de restaurer une capacité de production assurant une consommation florissante, et d’amplifier l’identification entre États-Unis et produits de consommation de masse. Pendant la guerre, dans différents lieux en Europe et en Asie, les soldats diffusèrent la mode des blue-jeans et les goûts pour le chewing-gum et les cigarettes américaines. La radio des forces armées rendit la musique américaine populaire. Les usines de Coca-Cola avancèrent avec les troupes américaines, aidant à la stimulation des soldats et à la préparation des marchés futurs26. Les publicitaires continuèrent à faire de la stratégie d’attaque encore après la guerre, alors que le gouvernement américain instaurait des régimes d’occupation en Allemagne, Autriche et Japon. Dans le Japon d’après-guerre, par exemple, la bande dessinée très populaire, Blondie, faisait la publicité des richesses américaines. En Autriche, des foules se rassemblaient pour voir des expositions de cuisines américaines27.

29 Dès que la guerre froide devint un élément structurant de la vie politique américaine d’après-guerre, des agences gouvernementales utilisèrent une nouvelle bureaucratie pour réorganiser les radios, les films et les promesses de prospérité pour combattre le communisme. Dans le cadre de la politique de containment de la fin des années 1940 et 1950, les dirigeants mirent en avant ce que Charles Maier a appelé « les politiques de productivité ». Comme Victoria de Grazia l’a montré, les économistes américains popularisèrent alors une mesure statistique du niveau de vie, un nouveau système métrique qui permettait à tous les pays de mesurer les progrès pour leurs citoyens. Dans le même temps, un nouveau flot de films hollywoodiens – stimulé par les pressions du gouvernement américain sur les autres pays pour empêcher les quotas ou les restrictions – continua à promouvoir des formes séduisantes de ce que pouvait être un niveau de vie élevé28. L’America’s Advertising Council, composé des principales agences de publicité, publia en 1948 un ouvrage intitulé Advertising : A New Weapon in the World Wide Fight for Freedom. Distribué dans le monde par les bons soins du Département d’État, il présenta les techniques publicitaires américaines comme essentielles pour stimuler la demande des consommateurs et, en conséquence, la reprise de la production dans le monde entier. Le choix du consommateur dans un marché où règnent la propriété et l’information par la publicité devint virtuellement synonyme de l’American Way of Life, un concept que les dirigeants et les hommes d’affaires américains célébraient dans le monde entier29.

30 Les efforts pour combattre le communisme en utilisant la productivité et l’American Way of Life se concentrèrent autour du plan Marshall. Il chercha à trouver des débouchés pour les investissements privés américains et facilita l’identification du modèle américain aux idées de croissance des emplois, de prospérité continue et de richesse matérielle. Ce plan permit à des centaines de personnes de visiter les États-Unis au cours de missions consacrées à l’agriculture, au marketing, aux relations industrielles. Comme ce plan devint une source essentielle de financement pour les revenus publicitaires de nombreux médias américains, il poussa l’Europe à accepter la publicité commerciale à la radio, un phénomène qui, en retour, ouvrit encore plus d’espaces à la vente des produits nationaux et étrangers30.

31 Le président Dwight D. Eisenhower, qui créa l’United States Information Agency (USIA) en 1953, favorisa de façon agressive les programmes destinés à contrer l’attrait du communisme en insistant sur les atouts de l’American Way of Life. L’un des programmes de l’USIA débuta en 1956 et fut appelé « le capitalisme du peuple ». Cette campagne se développa à l’issue d’une table ronde tenue à l’université de Yale par l’Advertising Council, qui évoquait l’adoption « d’une idée moralisatrice ayant le pouvoir de développer l’imagination des hommes » en faveur du capitalisme. C’était une extension du tournant de l’industrie publicitaire des années 1930 vers le concept de « relations publiques ». C’était également une application internationale des campagnes de relations publiques favorables aux hommes d’affaires que l’Advertising Council avait encouragées pendant la Seconde Guerre mondiale31.

32 Les échanges culturels en Europe dans les années 1950 témoignaient de cette centralité des produits de consommation de masse dans la bataille américaine contre le communisme. Au cours de l’Exposition internationale et universelle de Bruxelles en 1958, le pavillon américain exposa des lave-linge, des lave-vaisselle, un catalogue Sears & Roebuck et des produits de nourriture congelés, ainsi que des studios de télévision et d’enregistrement. Katherine Howard, une éminente activiste républicaine responsable de l’exposition, proclamait alors que les cuisines modernes constituaient l’arme la plus efficace dans la bataille psychologique pour la liberté. Elle fit en sorte que les stands du pavillon plaisent particulièrement aux femmes. Le magazine Vogue, qui mit un scène un défilé de mode chaque jour au centre du bâtiment central, présenta « le style de l’Amérique jeune » avec des jeans, des tee-shirts et des baskets. Le sous-entendu était simple : les femmes américaines profitaient déjà des loisirs et avaient accès à des vêtements bon marché. Elles pouvaient facilement passer d’un rôle social à l’autre en changeant de vêtements32. Les images genrées étaient au cœur de la guerre froide, comme les nouvelles études sur les relations internationales et le genre l’ont montré33.

33 En 1969, l’exposition américaine au Parc Sokolniki de Moscou fut une autre occasion de mettre en scène ce capitalisme populaire. Des ouvriers américains, fut-il expliqué aux Soviétiques, pouvaient s’offrir de vastes maisons de six pièces, ce qui fut très populaire pendant l’exposition. Les défilés de mode présentèrent les atours de la mode et du marketing de masse. Helena Rubinstein offrit des démonstrations de maquillage aux femmes soviétiques avant que les autorités ne les interdisent. Les cosmétiques de l’entreprise Coty essayèrent d’offrir des échantillons de maquillage, mais à nouveau les autorités intervinrent. Pas moins de trois modèles de cuisines présentaient des appareils électriques, de la nourriture prête à consommer, et des gadgets en tout genre34. Le fameux débat de la cuisine (kitchen debate) entre le vice-président Richard Nixon et le président Nikita Khrouchtchev eut même lieu dans ce temple de la consommation35. Pour Nixon, un système qui libérait les femmes du travail manuel faisait progresser les valeurs de la modernité et de la civilisation, et ainsi remplissait le rôle de l’homme comme protection de la femme. Pour sa part, Khrouchtchev dénonça les « gadgets » de la maison capitaliste, mais il mit un point d’honneur à prouver que le socialisme pouvait également satisfaire les besoins des consommateurs et comprit que la légitimité des régimes communistes dépendrait de leur capacité à maintenir des niveaux élevés de consommation.

34 Les rêves et les réalités de la consommation de richesse eurent également pour terrain de bataille l’Asie. Après la création de la République populaire de Chine en 1949, les dirigeants américains opposaient la pauvreté et la répression en Chine à la renaissance économique du Japon et de Taïwan. En accueillant les Jeux olympiques de 1964, par exemple, le Japon fit son entrée sur la scène mondiale comme nation modernisée, guidée par les Américains.

35 De façon encore plus convaincante, l’Expo’70 à Osaka, au Japon, mit en scène la nouvelle prospérité et la puissance de cet allié américain en Asie. Elle se tient entre mars et septembre 1970 et attira plus de 64 millions de personnes. Cette foire internationale – la première en Asie – célébra une modernité caractérisée par la réussite technologique et la richesse. Typique de cette période de guerre froide, les pavillons américain et soviétique se trouvaient à l’opposé l’un de l’autre. Les réalisations spatiales étaient omniprésentes, et le pavillon américain exposait des rochers en provenance de l’espace aux côtés d’autres produits de consommation courante. Le Japon annonçait sa spécialisation grandissante dans le domaine de l’électronique et des ordinateurs, présentant un prototype de téléphone portable et d’autres moyens de communication. Plus encore, les pavillons extravagants des entreprises Expo’70 facilitèrent le message de guerre froide diffusé par les États-Unis : le capitalisme facilite l’éclosion non seulement d’un niveau de vie élevé mais également d’innovations industrielles, artistiques et architecturales36.

36 Les responsables américains de l’information avançaient avec prudence lorsqu’ils mettaient en avant la consommation. Les critiques du capitalisme évoquaient souvent une tension entre le matérialisme et les valeurs spirituelles et trouvaient que la culture américaine manquait de finalité artistique, de lien social ou de spiritualité. Les thèmes de propagande du People’s Capitalism d’Eisenhower développaient avec soin que le niveau de vie élevé était inséparable des valeurs de travail, de plénitude spirituelle et d’engagement familial et communautaire. La femme américaine typique, présentée dans les publications de l’USIA, vivait modestement et travaillait beaucoup. Elle « prépare le repas, fait le ménage, nettoie, repasse et reprise les vêtements, prend soin des enfants, et travaille dans son jardin », sans l’aide de domestiques. Les problèmes de ségrégation raciale et des disparités économiques apparaissaient dans un récit de progrès et de « victoires » graduelles contre ces inégalités. L’USIA conserva un Bureau de l’information religieuse (Office of Religious Information) qui soulignait les racines spirituelles des valeurs américaines. Ce Bureau souhaitait qu’Eisenhower instaure des jours de prière afin de rappeler que la guerre froide n’était pas seulement un combat matériel mais aussi spirituel. Dans ces présentations, la richesse des consommateurs confirmait, plutôt qu’elle ne menaçait, la piété américaine et sa mission providentielle dans le monde37.

37 L’élite du monde des affaires américain apporta son aide à ces campagnes de diffusion de l’American Way of Life. Pour limiter les pressions politiques en faveur d’un État-providence sur le modèle européen, les entreprises et les compagnies d’assurance développèrent et vendirent leurs propres programmes de santé, des programmes de loisirs et de pensions pour les travailleurs. L’American Advertising Council aida les entreprises à développer des programmes de relations publiques à l’étranger pour expliquer de quelle manière le capitalisme prenait en charge un nombre important de besoins des travailleurs, ce que l’on appela le capitalisme social (welfare capitalism). Les adeptes du modèle américain utilisaient ce schéma, mêlant les systèmes de sécurité privés et publics, pour contredire ceux qui pensaient que le capitalisme exploitait les travailleurs ou ne leur apportait pas de sécurité à long terme. Dans ces messages célébrant le capitalisme social, le modèle américain de consommation de masse, directement lié à des niveaux de vie élevé pour les ouvriers, était considéré comme naturellement adapté à l’ensemble des pays du monde38.

Les débats autour de l’américanisation à l’étranger

38 Tout au long du xxe siècle, le modèle américain de consommation de masse suscita des débats dans la plupart des pays du monde. Un seul article ne peut pas résumer l’abondante littérature sur l’anti-américanisme au vingtième siècle, car le phénomène présente des visages extrêmement variés en fonction des pays et des groupes sociaux. Pour aller à l’essentiel, celle-ci suggère que les critiques de gauche comme de droite entrelacèrent les thèmes de la lutte contre les États-Unis et de la société de consommation de masse. Les discours anti-américains mettaient en garde contre le danger d’une dégradation des conditions de travail et l’apparition d’un matérialisme vulgaire, d’un gaspillage, d’un individualisme sans âme, d’une féminisation de la société, d’une perdition morale et d’un résultat intellectuel médiocre. Comme aux États-Unis, la crise des années 1930 offrit un terrain particulièrement fécond à l’élaboration de discours insistant sur les coûts sociaux des pratiques des hommes d’affaires39.

39 L’anti-américanisme comprend à la fois des critiques culturelles et économiques. La vente de produits américains, bien évidemment, menaçait les producteurs locaux, qui utilisèrent des arguments nationalistes pour que leurs gouvernements les soutiennent. Les conditions dans ces pays étaient différentes de celles rencontrées aux États-Unis : territoire plus petit, faiblesse des ressources naturelles, main-d’œuvre abondante, fortement ancrée dans le local, traditions artisanales, populations plus homogènes, et moindre mobilité sociale. Aux États-Unis même, comme nous l’avons vu, de nombreuses critiques existaient sur les processus de la société de consommation qui semblait effacer les anciennes pratiques et dépendances. Dans le reste du monde, ces reproches furent démultipliés. Le terme « américanisation », le plus souvent accolé à « production de masse » et à « consommation de masse », ramena dans le débat les questions du nationalisme et des identités nationales.

40 La diffusion de la publicité, sur un mode américain, si central dans la société américaine de consommation, provoqua des inquiétudes spécifiques. Au cours de la première moitié du vingtième siècle, les campagnes publicitaires dans le monde proposaient les mêmes messages et images que dans le pays. Elles étaient « globales » dans le sens classique du terme, pensées d’abord dans le pays, et légèrement modifiées ensuite sans tenir vraiment compte des conditions de réception culturelle. Les publicités pour le marché américain, comme nous l’avons vu, avaient aidé à la définition du nationalisme américain en réussissant le syncrétisme entre des symboles nationaux et des valeurs propres à l’ethos de la consommation. Mais de tels tableaux allaient provoquer des réactions hostiles dans les autres pays.

41 Pourtant, les historiens doivent traiter avec prudence des différents thèmes des « pro » et des « anti-américains », dont le nombre s’accrut dans le premier vingtième siècle. Les significations du consumérisme dépendirent des débats politiques et culturels locaux. Les avocats de la production et de la consommation de masse intégrèrent les États-Unis dans leur programme domestique comme un symbole de la richesse à venir. À l’inverse, les opposants au « fordisme » et à la consommation de masse essayaient d’utiliser une rhétorique nationale pour défendre leur propre vision du futur. Des groupes nombreux (intellectuels, antimodernes, conservateurs, socialistes et communistes) essayaient, en fonction de leur pays et même s’ils avaient peu de chose en commun, de renforcer leur discours nationaliste en présentant l’Amérique comme « autre » et en associant les techniques de production et de consommation de masse à des entreprises de subversion nationale. Des débats culturels et politiques autour de l’appartenance sexuée, de la famille, du monde du travail, de la morale et des liens avec l’État en matière économique furent réduits à des débats autour de l’américanisation, même si de telles problématiques divisaient l’opinion aux États-Unis également.

Le consumérisme multi-local et la fin de la guerre froide

42 Pourtant, les études sur le consumérisme compliquent le schéma général d’une « américanisation » inexorable. Depuis le milieu des années 1950, la croissance robuste et variée des sociétés de consommation, fondées sur le modèle américain ainsi que sur des traditions nationales, a transformé la majorité des pays d’Europe occidentale et le Japon. Pour diverses raisons, la diffusion de ce consumérisme a été beaucoup plus variée que la simple notion d’américanisation ne le donne à penser.

La diffusion du consumérisme multi-local

43 Plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour le phénomène. Tout d’abord, comme Richard Pells l’a écrit, de nombreux éléments de la culture américaine n’apparaissaient pas comme « étrangers » en dehors des États-Unis, car la culture de masse américaine fut le reflet d’une « Amérique transnationale », forgée par une nation d’immigrants dont les goûts de consommation, les images et les loisirs venaient d’ailleurs et réapparaissaient sur les marchés mondiaux. En d’autres termes, le monde avait transformé les États-Unis en même temps que la culture américaine influençait les envies dans le monde entier. Dans cette optique, il est plus pertinent de concevoir « l’américanisation » comme un processus d’hybridation et de fusion que comme une forme d’influence unilatérale40.

44 Ensuite, les pays et les individus assimilèrent la consommation de masse à leur propre tradition. Un nombre important d’études confirme qu’avant la Seconde Guerre mondiale en Europe occidentale, plus particulièrement, la standardisation des produits et leur vente se développèrent sous forme de structures de consommation fort variées. Lisa Tierstan, par exemple, a étudié la consommation de masse comme un phénomène global.Victoria De Grazia et Adam Avidsson ont, parmi d’autres, mis l’accent sur la variété des idéologies qui circulaient dans l’entre-deux guerres41. De manière précise, les Américains présentent des pratiques et des sensibilités distinctes, mais l’influence de la publicité et des pratiques de consommation des Américains ressemble plus à une diffusion culturelle, au sein de ce que De Grazia a appelé « l’Atlantique blanc », qu’à une volonté brutale d’américanisation.

45 Au cours de la période de reconstruction de l’après-guerre, le consumérisme et ses attraits continuèrent à se développer selon des formes nationales. Beaucoup de gens continuaient à éprouver des sentiments ambivalents concernant l’Amérique. Dans ses travaux, Sheldon Garon a affirmé que les individus au Japon et en Europe avaient conservé des traditions associant la frugalité avec la possibilité de construire une économie forte dans le futur pour le pays et les individus. Leur regard était donc ambivalent, oscillant entre attrait pour la richesse et l’individualisme et respect pour la frugalité et la communauté. En dépit de l’aide des États-Unis, beaucoup de gouvernements demandaient à leurs citoyens d’économiser plutôt que de dépenser42. Chaque pays, y compris les États-Unis, avait donc son propre système de pensée à l’égard de l’épargne et de la dépense.

46 De plus, le style managérial, les politiques syndicales, et la haute valeur ajoutée du capitalisme américain ne signifiaient pas la même chose partout. Dans son ouvrage, Exporting the American Model. The Postwar Transformation of European Business, Marie-Laure Djelic estime que les structures politiques et économiques en France et en Allemagne rendirent possible une acceptation plus rapide du plan Marshall qu’ailleurs. À l’image de ce qu’a montré David Ellwood, chaque pays a adopté ses propres mécanismes de filtre pour emprunter, adapter ou rejeter le modèle américain43.

47 La manière dont les publicitaires utilisaient, par exemple, à des fins commerciales les notions de glamour et de désir variait d’un pays à l’autre. Les outils publicitaires s’appuient sur des contextes locaux particuliers. Pour créer et répondre à la demande, les publicitaires américains fabriquèrent un vaste répertoire d’images de beauté, de style et d’appartenance sexuées, souvent renforcé par les stars et les célébrités d’Hollywood. Tout au long du vingtième siècle, les images et les codes du modèle américain étaient facilement identifiables dans le monde non-communiste et même dans le monde communiste. Mais de nombreuses études ont montré que ces images codées n’étaient pas homogènes ou statiques. Le processus, appelé « changement de code » (code-switching) par les anthropologues, permit des adaptations locales aussi bien aux États-Unis que dans le monde. Ces adaptations locales et ces pratiques complexes de code-switching culturels au sein des imaginaires consuméristes se produisirent dans tous les pays. Selon Stephen Grundle, dans l’Italie d’après-guerre, la transformation de l’imaginaire italien peut s’expliquer par le concept de « glamour », qui faisait à la fois partie des influences américaines, mais fut aussi réadapté par le capitalisme italien et donna naissance à « des formes propres de ré-enchantement » comme dans les films de Federico Fellini. De façon semblable, Vanessa Schwartz souligne les attirances mutuelles entre Hollywood et Paris et met en avant le processus de circulation culturelle qui créa une culture internationale et hybride, souvent bâtie sur des stéréotypes nationaux44. Ainsi, le consumérisme trouva une expression globale, mais également nationale et locale.

48 En même temps, au cours des années 1960, la balance commerciale américaine entra dans une longue phase de dégradation et l’économie américaine passa de ce que Charles Maier a appelé un « empire de la production » à un « empire » de la consommation. La consommation entretint la production dans le reste du monde, et le flot de biens de consommation importés (produits ailleurs) provoqua un développement sans précédent de la dette aux États-Unis45. La capacité des Américains à consommer (et à emprunter pour pouvoir consommer) était, depuis la première moitié du vingtième siècle, si étroitement liée aux thèmes nationalistes que les Américains en oublièrent les déficits nationaux et individuels qui accompagnaient la détérioration de la balance commerciale. Alors que cet « empire de la consommation » importait de plus en plus de produits, les exportations américaines n’apparaissaient plus comme la « menace américaine » dans les autres économies nationales. La mondialisation, un mot qui devient de plus en plus prégnant à la fin des années 1970, pouvait avoir été façonnée par le pouvoir et les pratiques américaines, mais elle produisait également une diffusion du pouvoir des États-nations. De plus en plus, l’antimondialisation relaya l’anti-américanisation pour ceux qui critiquaient la diffusion de la production et de la consommation de masse. Au même moment, les débats continuaient à faire rage sur les liens entre « américanisation » et « mondialisation ».

49 Des changements structurels, notamment ceux que connut l’économie mondiale après les années 1970, fragilisèrent l’équation entre « l’Amérique » et les systèmes de consommation de masse. Alors que les revenus augmentaient, le commerce s’accéléra, et dans un monde où la régulation des médias s’estompa, le consumérisme et la publicité envahirent nos vies46. Alors que l’exhibition des biens et des loisirs avait suscité des craintes, leur profusion devint signe de fierté pour des millions d’individus, signe de progrès personnel et national.

50 La présence de la publicité facilita également ces révolutions consuméristes à l’échelle locale. La publicité se développa partout du fait de la dérégulation des médias. En Europe occidentale, par exemple, l’intégration européenne en liaison avec la dérégulation développa le marché publicitaire. Les médias américains prirent des parts de marché : MTV s’implanta en Europe en 1987, puis Disney Channel dans les années 1990, suivi de Cartoon Network, Nickeleodon, ces chaînes adaptant leurs programmes pour les enfants. De façon plus importante, des médias privés multiplièrent localement les initiatives et le volume de la publicité47.

51 Les méthodes de vente évoluèrent également à la fin du xxe siècle. De plus en plus fondée sur le « style de vie », la publicité cherchait à séduire (et même à créer) des segments spécifiques du marché, à relier les consommateurs entre eux et à associer le produit avec les caractéristiques du groupe. Comme Geremie R. Barmé l’écrit avec raison, « l’un des aspects importants de la culture consumériste est de permettre aux acheteurs de se différencier et de traiter chaque individu avec un soin particulier ; les identités et les profils des consommateurs sont mêlés et les désirs sont stimulés et guidés par la main des publicitaires ». Les critiques du consumérisme ont longtemps dénoncé la manipulation, rappelle Barmé. Mais le sentiment d’être « ciblé » peut être une expérience nouvelle pour certains groupes d’individus, qui peuvent en ressentir un renforcement de pouvoir (empowerment) individuel, la promesse du choix, de la richesse et de l’épanouissement personnel48. De plus en plus soucieux de « positionner » leurs produits et leurs clients, les publicités internationales cherchèrent souvent à stimuler l’attrait en évoquant les traditions et les valeurs locales. Coca-Cola, par exemple, modifia sa structure de production pour faire venir des talents locaux et adapter la boisson aux goûts régionaux. Comme de nombreuses entreprises internationales, Coca-Cola développa une stratégie « unique » pour s’adapter au local49. Cette création de campagnes publicitaires mondiales adaptées au local fut appelé « glocalisation ». La production flexible, mobile et à flux tendus de la fin du vingtième siècle rendit vain de vouloir mettre en place une logique nationale pour un produit particulier. Les films d’« Hollywood » pouvaient ne pas être produits à Hollywood. Les voitures « japonaises » peuvent ne pas être assemblées au Japon. Loin d’être antithétiques, le local et le mondial devinrent deux éléments d’un processus identique qui diffusa le consumérisme dans le monde entier50.

La consommation et la fin de la guerre froide

52 À la fin des années 1940 et 1950, le capitalisme à la mode américaine et le socialisme à la mode soviétique, alliés l’un et l’autre à des organisations politiques rivales dans le monde entier, avaient essayé de se présenter non pas comme des modèles nationaux mais comme des modèles universels51. Des deux côtés, la guerre froide était présentée comme un combat de longue haleine où chaque système allait augmenter sa productivité et élever les niveaux de vie plus efficacement et humainement que l’autre.

53 Dans la mesure où les citoyens d’Europe occidentale et du Japon adoptaient des styles de vie fondés sur la consommation bien au-delà de ce dont les systèmes communistes pouvaient faire rêver, la fragilité structurelle du communisme fut de plus en plus difficile à cacher52. Les élites communistes au pouvoir dans le bloc soviétique et en Chine prirent conscience des dangers qu’il y avait à conserver les pratiques économiques, culturelles et intellectuelles employées jusqu’ici. La croissance de sociétés de consommation proches de leurs frontières accentuait les pressions que l’isolement et la censure ne pouvaient pas éliminer. Les discours des partis communistes condamnaient depuis longtemps les films, la musique et le style de vie des Américains comme autant de preuves de la décadence du capitalisme. Mais en même temps, ils avaient promis que l’austérité et les sacrifices collectifs finiraient par être remplacés par une productivité et une richesse plus grandes que dans les pays capitalistes.

54 La rivalité entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est illustra la manière dont les rivalités géopolitiques se développèrent. Après 1949, les dirigeants est-allemands et ouest-allemands s’opposaient sur la légitimité de chacun des systèmes en insistant sur la capacité de l’un et de l’autre à apporter une vie meilleure aux gens ordinaires. L’Allemagne de l’Ouest fonda son identité nationale sur la disponibilité des biens de consommation, et le « miracle économique » se diffusa dans la culture publique dans les premières années de la guerre froide. Le gouvernement ouest-allemand poussa ses citoyens à adopter le libre échange, non pas comme une imitation du capitalisme à l’américaine, mais comme une rupture par rapport au passé et la promesse d’une fierté retrouvée. Les méthodes publicitaires américaines fort sophistiquées furent alors utilisées pour diffuser des messages nationalistes et locaux plutôt que pour valoriser des produits « étrangers ». Le phénomène populaire de Coca-Cola qui « étanche votre soif » (refreshment) représenta, selon un universitaire, un aspect de la « quête ouest-allemande pour de nouvelles valeurs spirituelles, pour une nouvelle saveur de l’identité allemande ». Avec sagesse, l’entreprise Coca-Cola mêla ses slogans publicitaires au désir omniprésent de « rafraîchir » la culture allemande, créant une image hybride en adéquation avec le nationalisme53.

55 Les dirigeants est-allemands promirent de créer une société consumériste qui pourrait rivaliser, tout en restant différente, avec le modèle capitaliste. Ils cherchèrent à créer des produits pour la maison, pratiques et peu chers pour les masses tout en évitant l’ostentation, le gâchis et la frivolité des produits de consommation de l’Allemagne de l’Ouest. Les défilés de mode est-allemands présentaient « une mode socialiste », à la fois élégante et pratique. Toute une gamme de produits en plastique symbolisa également dans les années 1950 la capacité de la chimie socialiste à élever les niveaux de vie. Toutefois, les Allemands de l’Est continuaient à voir des images de l’abondance de la société de consommation ouest-allemande, et l’Ouest devint l’aune à partir de laquelle fut jugé leur bien-être54.

56 Alors que l’écart se creusait entre les deux Allemagne, les tensions politiques s’aggravèrent. Les gouvernements d’Europe de l’Est durent faire face à une vague de mécontentement populaire. La censure officielle des produits occidentaux, notamment les films et la musique, accrut à l’inverse le désir et les transforma même en objet de résistance contre le Kremlin. Dans la pénombre, des clubs pour jeunes et des entrepreneurs amateurs de rock diffusèrent l’envie d’avoir accès plus facilement aux modes de vie occidentaux. Même si la scène rock variait fortement dans le bloc communiste, des similitudes apparurent. Les artistes rock choisirent souvent de prendre des positions politiques. La musique créa un fossé générationnel et fournit les hymnes à des visions dissidentes et alternatives du futur. Les années 1980 devinrent l’âge d’or du rock à l’est et certaines études estiment que les racines des révolutions de 1989 se firent entendre d’abord sur la scène rock55.

57 L’Allemagne de l’Est ainsi que d’autres pays dans le monde soviétique utilisèrent des prêts étrangers pour couvrir les besoins des consommateurs et limiter le mécontentement de la population. Essayant d’enrayer les effets de la répression du mouvement Solidarnosc, la Pologne lança une politique d’emprunts à l’Ouest pour importer des biens occidentaux. Comme les stratégies d’emprunt visaient les besoins des citoyens, la dépendance à l’égard du capital, notamment, américain, s’accrut56. En 1989, la vague soudainement inonda le mur de Berlin et d’autres barrières moins visibles. Dans chaque pays, des foules prirent le pouvoir et mirent fin à la guerre froide. La révolution populaire en Europe de l’Est fut relativement simple et pacifique, car à cette date les réformateurs soviétiques sous la houlette de Mikhaïl Gorbatchev avaient renoncé à toute forme d’intervention militaire.

58 Ce changement d’attitude par rapport à la répression de guerre froide faisait partie des efforts entrepris par Gorbatchev pour transformer l’Union soviétique. Tout au long des années 1980, les élites urbaines en URSS avaient rongé leur frein sous les rigidités culturelles et le manque de ressources économiques dans le socialisme soviétique. Les universitaires, les représentants du gouvernement et tous ceux qui pouvaient le faire voyageaient à l’Ouest, et revenaient les valises remplies de magnétoscopes, des derniers objets à la mode et de toute sorte de biens de consommation. À la fin des années 1980, plus de 90 % des foyers soviétiques possédaient une télévision et recevaient les programmes de l’Ouest. L’utilisation des magnétoscopes s’accrut, tout comme la circulation des films hollywoodiens et autres offres culturelles venant de l’Ouest. La révolution des communications et des voyages, qui amplifia le désir de davantage de biens, d’un choix plus grand, ainsi qu’une plus grande ouverture intellectuelle, contribuèrent à forger « une nouvelle pensée » (new thinking) au sein des élites dirigeantes. Gorbatchev lui-même regarda de plus en plus vers le modèle de la social-démocratie à l’occidentale, qui combinait l’État-providence, des marchés plus ouverts et un plus grand choix pour les consommateurs. Boris Eltsine se souvenait de ce voyage dans un supermarché d’Houston, avec les étagères « bourrées de centaines de boîtes de conserves, cartons et produits de toutes sortes ». Il avoua s’être senti « malade de désespoir pour le peuple soviétique57 ». Les grands changements qui balayèrent l’Europe de l’Est et l’Union soviétique en 1989 amorcèrent la fin de la guerre froide en Europe.

59 À l’inverse de la situation en Europe de l’Est et en URSS, aucune année particulière ne marqua la fin de la guerre froide en Asie. Les relations entre les États-Unis et la Chine ne furent pas non plus un long fleuve tranquille. La visite historique du président Richard Nixon enclencha un nouveau processus d’échanges commerciaux et culturels. Deng Xiaoping, qui devint de facto le dirigeant chinois après la mort de Mao Zedong en 1976, appela à une « modernisation » en décembre 1978 et lança la politique chinoise de la porte ouverte. En 1982, la Voix de l’Amérique (Voice of America) ouvrit un bureau à Pékin et, en 1984, il fut possible de suivre en direct à la télévision l’élection présidentielle américaine58.

60 Au milieu des années 1980, le gouvernement chinois engagea un programme pour attirer l’argent des touristes en construisant des golfs et de grands hôtels, comme le luxueux Zhongshan Hot Springs Golf Club dans la province du Guangdong. En novembre 1986, les concerts de Jan and Dean (Jan Berry et Dean Torrence), incluant des chansons pour le surf comme « Fun, Fun, Fun » et « Surf City », contribuèrent à diffuser des images concernant la consommation, les loisirs et la mode, en direction notamment des jeunes59. Les politiques gouvernementales ouvrirent également lentement le pays aux journaux, à la radio et à publicité télévisuelle. Même si les médias chinois débattaient du rôle de la publicité dans un système socialiste, les dirigeants chinois étaient d’accord sur sa capacité à assurer les succès de leur politique de modernisation et son rôle d’outil électoral pouvant renforcer plus qu’affaiblir l’État. Le premier magazine sur la publicité de l’ère post-Mao, China Advertising, fut lancé à Shangaï en 1981, et l’Association des publicitaires chinois fut fondée deux ans plus tard. En 1982, la Chine conclut un accord avec CBS pour faciliter la diffusion des programmes produits pour la télévision américaine en échange d’achat de plages de publicité sur la télévision chinoise. En 1987, de nombreuses entreprises américaines avaient conclu des accords similaires. Cela permit aux Chinois au cours de cette décennie d’avoir un œil ouvert sur les techniques et les biens dans le reste du monde60. Les modes de vie et les publicités florissantes à Taïwan, à Hong Kong et au Japon influencèrent également la Chine. En 1988, par exemple, une entreprise de boisson énergisante, Apollo, s’inspira d’un logo japonais pour forger sa propre identité visuelle. En quelques années, le logo d’Apollo et la chanson associée aidèrent à transformer le groupe en une grande entreprise, et ses succès publicitaires, notamment, à travers son iconographie, commencèrent à être imités par les autres entrepreneurs chinois61.

61 À la fin des années 1980, la fascination pour les biens et les divertissements du consumérisme se développa dans les zones urbaines de la Chine. Les biens de consommation durables se banalisèrent, tout comme les salles de danse, les nouveaux moyens de communication, un choix plus grand pour la nourriture et la maison, de nouvelles modes vestimentaires et de nouveaux loisirs62. Alors que l’idéologie officielle chinoise prônait « une économie de marché socialiste », la publicité et ses dérivés furent liés à l’objectif nationaliste de stimuler le développement économique chinois. Après 1992, les entreprises américaines comme McDonald’s, KFC, Mastercard, Starbucks, Harley-Davidson, et bien d’autres, diffusèrent leurs marques. De façon plus décisive encore, le secteur privé augmenta plus rapidement et enleva des parts au secteur d’État. En 1993, le gouvernement mit en place une initiative pour stimuler plus encore l’industrie publicitaire. Son objectif révélait le mélange de nationalisme et d’internationalisme, de local et de global. L’un des objectifs fut d’encourager l’implication internationale dans le domaine publicitaire de telle sorte que le secteur public puisse apprendre des pratiques plus efficaces ; un autre objectif fut de promouvoir la culture chinoise. Deux ans plus tard, la loi sur la publicité encouragea et régula les publicités étrangères. Et les consommateurs chinois recréèrent d’autres institutions consuméristes pour les intégrer à leurs propres traditions nationales63.

62 Alors que les puissances communistes, la Chine et l’Union soviétique, se battaient sur la manière d’adapter les mentalités consuméristes globales, la lutte d’influence dans le Tiers-Monde tourna au seul avantage des modèles occidentaux. À la fin des années 1970, les dirigeants soviétiques avaient revendiqué une série de victoires en construisant de nouvelles alliances avec l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et le Moyen Orient. Ces expériences tournèrent rapidement court. Au milieu des années 1980, la stratégie soviétique pour s’étendre dans le Tiers-Monde était en lambeaux, et l’invasion soviétique en Afghanistan sapa encore plus sa force économique et militaire64. En dépit des critiques généralisées sur les interventions américaines dans le Tiers-Monde au cours des années 1970 et 1980, le monde dans son ensemble aspirait à avoir accès aux produits américains comme la musique, les films, la télévision et les habits, et rêvait d’appartenir à des sociétés de consommation de masse. Les migrants et les étudiants internationaux, notamment en provenance du Tiers-Monde, voulaient travailler aux États-Unis, et pas en Union soviétique. La révolution des communications continua à offrir les images de la consommation de masse à tous ceux qui avaient accès à la radio, la télévision et Internet.

63 Alors que les gouvernements en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est adoptaient une grande diversité de projets pendant la dernière phase de la guerre froide, les objectifs nationalistes promettaient toujours de plus hauts niveaux de vie et les produits de consommation y étaient définitivement associés à la modernité et au progrès. Dans les riches pays pétroliers du Moyen-Orient, par exemple, les élites utilisèrent les revenus du pétrole pour conforter leur pouvoir politique et adopter des modes de vie très consuméristes. Le consumérisme ambiant suscita aussi de nouvelles critiques des islamistes fondamentalistes, dénonçant une forme de décadence du monde occidental. Les mouvements de pauvres connurent une marginalisation croissante dans un monde de richesses, difficile à atteindre.

64 Alors qu’à la fin du vingtième siècle, le consumérisme multi-local devint globalisé et diversifié, l’identification entre la consommation de masse et l’Amérique devint plus incertain. Les produits de consommation représentaient parfois moins l’hégémonie et l’homogénéisation américaine que le progrès national et personnel, le glamour, l’hybridité et le cosmopolitisme.

65 Le consumérisme, comme l’historien américain Gary Cross l’a suggéré, a été – pour le meilleur et pour le pire – « l’isme » qui « remporta » les batailles idéologiques du siècle65. Pourtant, il « l’emporta » moins parce qu’il était étroitement associé à « l’américanisation » que par sa capacité à s’adapter à la multiplicité du local.

Le modèle américain : un résumé et des spéculations

66 Le modèle américain de consommation de masse prit forme dans les circonstances historiques de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle. Il se développa au moyen d’outils de plus en plus sophistiqués pour stimuler les marchés, notamment la publicité. Il permit aussi à une nation très diverse de nouer des liens à travers un « nationalisme matériel » fondé sur la communauté de consommation de masse.

67 Ce système de masse, combinant consumérisme et publicité, se développa dans le monde entier et, comme aux États-Unis, s’adapta facilement. Il séduisit au-delà des différences nationales, régionales, ethniques, mais aussi de genre, de classe et d’idéologie. Les aspirations qui marquèrent la fin de la guerre froide et de l’après-guerre froide montrent que des traditions idéologiques et des gouvernements différents ont essayé d’adopter les icônes et les imaginaires de la consommation de masse pour renforcer leur propre légitimité. La consommation de masse devint de moins en moins synonyme « d’américanisation », car elle appartint à la fois au global et au local.

68 Toutefois, ce système qui s’étendait dans le monde entier demeura ancré dans ses origines américaines, basé sur des ressources bon marché et une force de travail relativement insuffisante. Pendant la guerre froide notamment, les entreprises américaines et les élites dirigeantes s’enorgueillirent de la capacité du système consumériste et de la publicité à stimuler la demande et à revivifier le tissu industriel et le monde de l’emploi, amenant à un niveau de vie plus élevé pour les citoyens et les travailleurs partout dans le monde. Mais aujourd’hui, une telle vision productiviste universelle apparaît définitivement incompatible avec le vingt et unième siècle et ses enjeux environnementaux66.

 

Notes

1  Voir par exemple Peter Stearns, Consumerism in World History : The Global Transformation of Desire, New York, Routledge, 2006 ; John Brewer, Frank Trentmann (dir), Consuming Cultures, Global Perspectives : Historical Trajectories, Transnational Exchanges, New York, Berg, 2006 ; Frank Trentmann (dir.), The Making of the Consumer : Knowledge, Power and Identity in the Modern World, New York, Berg, 2006. Sur les États-Unis, il est utile de commencer avec Susan Strasser, « Making Consumption Conspicuous », Technology and Culture, vol. 43, octobre, 2002, p. 755-70.

2  Voir Thomas Bende (dir.), Rethinking American History in a Global Age, Berkeley, University of California Press, 2002 ; Petra Goedde, « The Globalization of American Culture », dans Karen Halttunen (dir.), A Companion to American Cultural History, New York, Blackwell, 2008 ; Rob Wilson and Wilmal Dissanayake (dir.), Global/Local : Cultural Production and the Transnational Imaginary, Durham, Duke University Press, 1996 ; Arjun Appadurai, Modernity at Large : Cultural Dimensions of Globalization, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996. Voir également A. G. Hopkins (dir.), Global History : Interactions between the Universal and the Local, New York, Palgrave Macmillan, 2006. Une bibliographique est aussi disponible sur : http://www.consume.bbk.ac.uk/publications.html

3  Le mot « glocalisation » fut d’abord utilisé par des économistes et des industriels japonais. Depuis, les hommes d’affaires et les chercheurs l’ont largement utilisé. Pour un point de vue critique, voir Roland Robertson, « Glocalization : Time-Space and Homogeneity-Heterogeneity » dans Mike Featherstone, Scott Lash, Roland Robertson (dir.), Global Modernities, London, Sage Publications, 1995, p. 25-45.

4  Ted Steinberg, Down to Earth : Nature’s Role in American History, New York, Oxford, 2002.

5  Naomi Lamoreaux, The Great Merger Movement in American Business, 1895-1904, Cambridge, Harvard University Press, 1985.

6  Jackson Lears, Fables of Abundance : A Cultural History of Advertising in America, New York, Basic Books, 1994, p. 113-115.

7  Marilyn Young, The Rhetoric of Empire : American China Policy, 1895-1901, Cambridge, Harvard University Press, 1968, propose une analyse classique du « marché chinois ». Sur l’expansion commerciale, voir Walter LaFeber, The New Empire : An Interpretation of American Expansion, 1860-1898, Ithaca, Cornell University Press, 1963.

8  Peter Shergold (Working-Class Life : The « American Standard » in Comparative Perspective, 1899-1913, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1982) montre qu’avant la Première Guerre mondiale, les travailleurs américains n’avaient pas un niveau de vie supérieur à celui des Européens. Mais Marina Moskowitz (Standard of Living : The Measure of the Middle Class in Modern America, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2008) analyse les aspects culturels plus larges du « niveau de vie » de la classe moyenne. Sur la notoriété publique de Ford, voir David Lewis, The Public Image of Henry Ford : An American Folk Hero and His Company, Detroit, Wayne State University Press, 1976.

9  Charles McGovern, Sold American : Consumption and Citizenship, 1890-1945, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2006 ; sur les conceptions différentes de « l’American Way », voir Wendy Wall, Inventing the « American Way » : The Politics of Consensus from the New Deal to the Civil Rights Movement, New York , Oxford University Press, 2008.

10  Gary Cross, An All-Consuming Century, New York, Columbia University Press, 2002, p. 38-43. Sur les immigrés de la classe ouvrière et la nouvelle société orientée vers la consommation, voir en particulier Kathy Peiss, Cheap Amusements : Working Women and Leisure in Turn-of-the-Century New York, Philadelphia, Temple University Press, 1986 ; Steven Ross, Working-Class Hollywood : Silent Film and the Shaping of Class in America, Princeton, Princeton University Press, 1998 ; Andrew Heinze, Adapting to Abundance : Jewish Immigrants, Mass Consumption, and the Search for American Identity, New York, Columbia University Press, 1990 ; and Nan Enstad, Ladies of Labor, Girls of Adventure, New York, Columbia University Press, 1999.

11  The Americans : The Democratic Experience de Daniel Boorstin (New York, Vintage, 1973) est un exemple de la célébration des communautés consuméristes.

12  Joseph Chambers, Madison Avenue and the Color Line : African Americans in the Advertising Industry, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2008, p. 1-57 ; et Grace Elizabeth Hale, Making Whiteness : The Culture of Segregation in the South, 1890-1940, New York, Vintage, 1999, p. 121-195, qui débat des images des Afro-Américains dans les publicités et la culture populaire. Sur les marchés ethniques à la fin du vingtième siècle, voir Marilyn Halter, Shopping for Identity : The Marketing of Ethnicity, Schocken Books, 2002.

13  De nombreux ouvrages sur l’histoire de la publicité offrent des analyses différentes : William R. Leach, Land of Desire : Merchants, Power, and the Rise of a New American Culture, New York, Vintage, 1994 ; Roland Marchand, Advertising the American Dream : Making Way for Modernity, 1920-1940, Berkeley, University of California Press, 1986 ; Stephen Fox, The Mirror Makers a History of American Advertising And Its Creators, New York, William Morrow, 1984 ; Jackson Lears, Fables of Abundance, op. cit. et Charles McGovern, Sold American, op. cit.. De telles études ont décrit l’essor, les techniques et les effets de cette importante industrie et donné une signification aux débats autour de ce que Gary Cross a appelé « le siècle de la consommation » (An All Consuming Century).

14  Corey Ross, « Visions of Prosperity : The Americanization of Advertising in Interwar Germany », dans Pamela E. Swett, S. Jonathan Wiesen et Jonathan R. Zatlin (dir.), Selling Modernity : Advertising in Twentieth Century Germany, Durham, Duke University Press, 2007, p. 52-77.

15  Daniel Delis Hill, Advertising to the American Woman, 1900-1999, Columbus, Ohio State University Press, 2002.

16  Leigh Eric Schmidt, Consumer Rites : The Buying and Selling of American Holidays, Princeton, Princeton University Press, 1997 ; Martha Olney, Buy Now, Pay Later : Advertising, Credit, and Consumer Demand in the 1920s, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1991 ; Lendol Calder, Financing the American Dream : A Cultural History of Consumer Credit, Princeton : Princeton University Press, 1999 ; Giles Slade, Made to Break : Technology and Obsolescence in America, Cambridge, Harvard University Press, 2006.

17  Roland Marchand, Creating the Corporate Soul : The Rise of Public Relations and Corporate Imagery in American Big Business, Berkeley, University of California Press, 2001 ; Adam Arvidsson, « Brand Management and the Productivity of Consumption », dans John Brewer and Frank Trentmann (dir.), Consuming Cultures, Global Perspectives, op. cit., p. 71-94. Al Ries, Jack Trout (Positioning : The Battle for Your Mind, New York, McGraw Hill, 1980) ont mis l’accent sur l’image, le « positioning » et le « branding ».

18 Gary Cross, An All-Consuming Century, op. cit., p. 111-116 ; Inger L. Stole, Advertising on Trial : Consumer Activism and Corporate Public Relations in the 1930s, Urbana, University of Illinois Press, 2006 ; Charles McGovern, Sold American, op. cit., p. 221-365 ; Lizabeth Cohen, A Consumer’s Republic : The Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Alfred A. Knopf, 2003.

19  Gary Cross, An All-Consuming Century, op. cit., p. 12 et p. 111-143 ; Charles McGovern, Sold American, op. cit., p. 163-217 ; Michael Kammen, American Culture, American Tastes : Social Change and the Twentieth Century, New York, Basic Books, 1999 ; Daniel Horowitz, The Morality of Spending : Attitudes Toward the Consumer Society in America 1875-1940, New York, Ivan Dee, 1992 ; et sonAnxieties of Affluence : Critiques of American Consumer Culture, 1939-1979, Amherst, University of Massachusetts Press, 2004.

20  Stephen Fox, The Mirror Makers, op. cit., p. 201-210, citation, p. 206, Jackson Lears, Fables of Abundance, op. cit., p. 8.

21  Par exemple, David Jenemann, Adorno in America, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2007.

22  Par exemple, William Thomas Stead, The Americanization of the World or the Trend of the Twentieth Century, London, Horace Markley, 1902.

23  Emily S. Rosenberg, Spreading the American Dream ; Kristin Thompson, Exporting Entertainment : America in the World Film Market, 1907-34, London, BFI, 1985 ; Victoria de Grazia, Irresistible Empire : America’s Advance through Twentieth-century Europe, Cambridge, Harvard University Press, 2005. Gary Cross, An All Consuming Century, op. cit., p. 26 (sur les automobiles). Citation extraite de Stuart Ewen, Captains of Consciousness : Advertising and the Social Roots of Consumer Culture, New York : McGraw Hill, 1976, p. 22. Voir aussi Janice Williams Rutherford, Selling Mrs. Consumer : Christine Frederick and the Rise of Household Efficiency, Athens, University of Georgia Press, 2003.

24  Pour les publicités internationales sur l’automobile, voir N.W. Ayer Collection # 59, Ford Motor Company, Series 3, Boxes 220-225, National Museum of American History Archives, Washington, D.C.

25  Des coupures de presse des années 1930 dans Dorothy Shaver Papers #631, Series 2, Box 4, folders 6, 8, National Museum of American History Archives, Washington, D.C.

26  Par exemple, David Reynolds, Rich Relations : The American Occupation of Britain, 1942-1945, London, HarperCollins, 1996, p. 437-449.

27  Ralph Willett, The Americanization of Germany : Post-War Culture, 1945-1949, New York : Routledge, 1992 ; Reinhold Wagnleitner, Coca-Colonization and the Cold War : The Cultural Mission of the United States in Austria after the Second World War, Chapel Hill : University of North Carolina Press, 1994 ; John Dower, Embracing Defeat : Japan in the Wake of World War II, New York, W. W. Norton, 1999, p. 252 et p. 232-235 ; Sheldon Garon, Patricia L. Maclachlan (dir.), The Ambivalent Consumer : Questioning Consumption in East Asia and the West, Ithaca, Cornell University Press, 2006.

28  Charles S. Maier, « The Politics of Productivity : Foundations of American International Economic Policy after World War II », dans InSearch of Stability : Explorations in Historical Political Economy, New York, Cambridge University Press, 1987 ; Victoria De Grazia, Irresistible Empire, op. cit., p. 75-129. Sur la diffusion des films hollywoodiens, voir Thomas Guback, The International Film Industry : Western Europe and America since 1945, Bloomington, Indiana University Press, 1969 ; Ian C. Jarvie, Hollywood’s Overseas Campaign : The North Atlantic Movie Trade, 1920-1950, New York, Cambridge University Press, 1992 ; John Trumpbour, Selling Hollywood to the World : U.S. and European Struggles for Mastery over the Global Film Industry, 1920-1950, New York, Cambridge University Press, 2002 ; et Jens Ulff-Møller, Hollywood’s Film Wars with France : Film Trade Diplomacy and the Emergence of the French Film Quota Policy, Rochester, University of Rochester Press, 2001.

29  Daniel L. Lykins, From Total War to Total Diplomacy : The Advertising Council and the Construction of the Cold War Consensus, Westport : Praeger, 2003.

30  Sur les aspects économiques et culturels du plan Marshall, voir plus particulièrement Richard Kuisel, Seducing the French : The Dilemma of Americanization, Berkeley, University of California Press, 1993 ; Richard H. Pells, Not Like Us : How Europeans Have Loved, Hated, and Transformed American Culture since World War II, New York, Basic Books, 1998 ; et Brian Angus McKenzie, Remaking France : Americanization, Public Diplomacy, and the Marshall Plan, New York, Berghahn Books, 2005.

31  Kenneth Osgood, Total Cold War : Eisenhower’s Secret Propaganda Battle at Home and Abroad, Lawrence, University of Kansas Press, 2006 ; Walter L. Hixson, Parting the Curtain : Propaganda, Culture, and the Cold War, 1945-1961, New York, St. Martin’s Press, 1997, p. 139 ; Daniel L. Lykins, From Total War to Total Diplomacy, op. cit. Sur la propagande de guerre américaine, voir plus particulièrement Scott Lucas, Freedom’s War : The US Crusade against the Soviet Union, 1945-56, Manchester, Manchester University Press, 1999 et Tony Shaw, Hollywood’s Cold War, Amherst, University of Massachusetts Press, 2007.

32  Robert H. Haddow, Pavilions of Plenty : Exhibiting American Culture Abroad in the 1950s, Washington, D.C., Smithsonian Institution Press, 1997.

33  Voir Laura A. Belmonte, « A Family Affair ? Gender, the U.S. Information Agency, and Cold War Ideology, 1945-1960 », dans Jessica C. E. Gienow-Hecht, Frank Schumacher (dir.), Culture and International History, New York, Berghahn Books, 2003, p. 79-93, Laura A. Belmonte, Selling the American Way : U.S. Propaganda and the Cold War, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2008 ; Helen Laville, « ‘Our Country Endangered by Underwear’: Fashion, Femininity, and the Seduction Narrative in Ninotchka and Silk Stockings », Diplomatic History, vol. 30, septembre 2006 ; p. 623-44 et Susan Smulyan, Popular Ideologies : Mass Culture at Mid-Century, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2007, p. 41-81 (sur le genre, la consommation et la guerre froide). Pour une recension de la littérature sur le genre et l’histoire des relations internationales, voir Kristin Hoganson, « What’s Gender Got to Do with It ? Gender History as Foreign Relations History », dans Michael J. Hogan and Thomas G. Paterson (dir.), Explaining the History of American Foreign Relations, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.

34  Richard M. Nixon, « Russia as I Saw It », The National Geographic Magazine, vol. 116, décembre, 1959, p. 718, 723.

35 Ibid. Voir aussi Karal Ann Marling, As Seen on TV : The Visual Culture of Everyday Life in the 1950s, Cambridge, Harvard University Press, 1994, p. 243-83 ; et Elaine Tyler May, Homeward Bound :American Families in the Cold War Era, New York, Basic Books, 1988, p. 10-13 et 145-146.

36  Jack Masey and Conway Lloyd Morgan, Cold War Confrontations : US Exhibitions and Their Role in the Cultural Cold War, 1950-1980, Lars Müller Publishers, 2008.

37  Kenneth Osgood, Total Cold War, op. cit., citation, p. 312, Laura Belmonte, « A Family Affair ? », op. cit.

38  Jennifer Klein, For All These Rights : Business, Labor, and the Shaping of America’s Public-Private Welfare State, Princeton, Princeton University Press, 2003, Daniel L. Lykins, From Total War to Total Diplomacy, op. cit.

39  La littérature sur l’anti-américanisme est pléthorique et une large partie souligne les enjeux politiques et intellectuels de ces débats. Voir par exemple pour l’Allemagne Mary Nolan, Visions of Modernity : American Business and the Modernization of Germany, New York, Oxford, 1994 ; Alexander Stephan (dir.), Americanization and Anti-Americanism : The German Encounter with American Culture after 1945, New York, Berghahn Books, 2004. Sur le Japon, voir Harry D. Harootunian, Overcome by Modernity : History, Culture, and Community in Interwar Japan, Princeton, Princeton University Press, 2000, p. 35-94 ; et Barbara Sato, The New Japanese Woman : Modernity, Media, and Women in Interwar Japan, Durham, Duke University Press, 2003. Sur la France, voir Philippe Roger, The American Enemy : A Story of French Anti-Americanism, Chicago, University of Chicago Press, 2005 ; et Seth D. Armus, French Anti-Americanism (1930-1948) : Critical Moments in a Complex History, Lanham, MD, Lexington Books, 2007. Sur le Mexique, voir Julio Moreno, Yankee Don’t Go Home ! : Mexican Nationalism, American Business Culture, and the Shaping of Modern Mexico, 1920-1950, University of North Carolina Press, 2003.

40  Richard Pells, « American Culture Goes Global, or Does It ? », Chronicle of Higher Education, 12 avril 2002, p. 7-9 ; Kristin Hoganson, « Stuff It : Domestic Consumption and the Americanization of the World Paradigm », Diplomatic History, vol. 30, septembre 2006, p. 571-594. »

41  Lisa Tiersten, Marianne in the Market : Envisioning Consumer Society in Fin-de-Siecle, Palo Alto, University of California Press, 2001 ; Rosalind H. Williams, Dream Worlds : Mass Consumption in Late Nineteenth-Century France, Berkeley, University of California Press, 1982 ; Victoria de Grazia, Irresistible Empire, op. cit. ; Adam Arvidsson, « Between Fascism and the American Dream : Advertising in Interwar Italy », Social Science History, vol. 25, n° 2, 2001, p. 151-186 ; voir également la recension bibliographique de Joe Perry, « Consumer Citizenship in the Intewar Era : Gender, Race, and the State in Global-Historical Perspective », Journal of Women’s History, vol. 18, n° 4, 2006, p. 157-172. Sur les autres emprunts culturels dans le monde atlantique au cours de cette période, voir Daniel T. Rodgers, Atlantic Crossings : Social Politics in a Progressive Age, Cambridge, Harvard University Press, 1998.

42  Sheldon Garon, « Japan’s Post-war ‘Consumer Revolution’, or Striking a ‘Balance’between Consumption and Saving », dans John Brewer et Frank Trentmann (dir.), Consuming Cultures, Global Perspectives, op. cit., p. 189-217 ; Sheldon Garon et Patricia L. Maclachlan (dir.), The Ambivalent Consumer, op. cit. ; Victoria de Grazia, Irresistible Empire, op. cit.

43  Marie-Laure Djelic, Exporting the American Model : The Postwar Transformation of European Business, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; Michael Stephen Smith, The Emergence of Modern Business Enterprise in France, 1800-1930, Cambridge, Harvard University Press, 2006 ; Dominique Barjot (dir.), Catching Up with America : Productivity Missions and the Diffusion of American Economic and Technological Influence after the Second World War, Paris, Presse de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002 ; David W. Ellwood, Rebuilding Europe : Western Europe, America, and Postwar Reconstruction, London, Longwood Group, 1992 ; Jonathan Zeitlin, « Americanization and Its Limits : Theory and Practice in the Reconstruction of Britain’s Engineering Industries 1945-55 », Business and Economic History, vol. 24, n° 1, 1995, p. 277-286.

44  Stephen Gundle, « Hollywood Glamour and Mass Consumption in Postwar Italy », Journal of Cold War Studies, vol. 4, été 2002, p. 95-188, citation, p. 95 ; Vanessa R. Schwartz, It’s So French ! Hollywood, Paris, and the Making of Cosmopolitan Film Culture, Chicago, University of Chicago Press, 2007.

45  Charles S. Maier, Among Empires : American Ascendancy and Its Predecessors, Cambridge, Harvard University Press, 2007, p. 191-284.

46  Angus Maddison, « The Nature and Functioning of European Capitalism : A Historical and Comparative Perspective », Banca Nazionale del Lavoro Quarterly Review, décembre 1997, disponible sur Internet (www.ggdc.net/maddison/provides comparative data illustrating income growth).

47  Richard Pells, Not Like Us, op. cit., p. 299-302.

48  Geremie R. Barmé, In the Red : On Contemporary Chinese Culture, New York, Columbia University Press, 1999, p. 237.

49  Voir plus particulièrement Jing Wang (Brand New China : Advertising, Media, and Commercial Culture, Cambridge, Harvard University Press, 2008) pour un débat sur la publicité et les intersections du global et du local.

50  Voir la note ci-dessus. Le débat historiographique demeure important. Voir les points de vue opposés entre James L. Watson (dir), Golden Arches East : McDonald’s in East Asia, Palo Alto, Stanford University Press, 1997 ; et Joe L. Kincheloe, The Sign of the Burger : MacDonald’s and Cultural Power, Philadelphia, Temple University Press, 2002.

51  Odd Arne Westad, The Global Cold War : Third World Interventions and the Making of Our Times, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 8-72.

52  Les statistiques d’Angus Maddison sur le Produit Intérieur Brut et le Produit Intérieur Brut par habitant mettent en évidence l’inégalité croissante du revenu par tête entre pays capitalistes et pays communistes ; ces statistiques sont accessibles sur le site, www.ggdc.net/maddison/. www.ggdc.net/maddison/.

53  Erica Carter, How German is She ? Postwar West German Reconstruction and the Consuming Woman, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1997 ; Paul Betts, The Authority of Everyday Objects : A Cultural History of West German Industrial Design, Berkeley, University of California Press, 2002, p. 232 ; David F. Crew (dir.), Consuming Germany in the Cold War, Berg, 2003, p. 3 et p. 7 ; et plus particulièrement les articles dans le livre de Crew par S. Jonathan Wiesen, « Miracles for Sale » et Jeff R. Schutts, « Born Again in the Gospel of Refreshment ? », p. 121-150.

54  Mark Landsman, Dictatorship and Demand, op. cit. ; David F. Crew (dir.), Consuming Germany in the Cold War, op. cit., p. 3 (avec les articles de Katherine Pence, « “World in Miniature”», p. 21-50, citation, p. 35 ; Judd Stitziel, « On the Seams between Socialism and Capitalism », p. 51-86 ; Eli Rubin, « The Order of Substitutes : Plastic Consumer Goods », p. 87-120 ; Uta G. Poiger, Jazz, Rock, and Rebels : Cold War Politics and American Culture in a Divided Germany, Berkeley, University of California Press, 2000 ; Katherine Pence, « The Myth of a Suspended Present », op. cit.

55  Timothy W. Ryback, Rock around the Bloc : A History of Rock Music in Eastern Europe and the Soviet Union, New York, Oxford, 1990 ; Sabrina Petra Ramet (dir.), Rocking the State : Rock Music and Politics in Eastern Europe and Russia, Boulder, Westview Press, 1994.

56  André Steiner, « Dissolution of the ‘Dictatorship over Needs’? Consumer Behavior and Economic Reform in East Germany in the 1960s », dans Susan Strasser et al. (dir.), Getting and Spending : European and American Consumer Societies in the Twentieth Century, New York, Cambridge University Press, 1998, p. 185.

57  Boris Yeltsin, Against the Grain : An Autobiography, New York : Summit, 1990, p. 255 ; Igor Birman, Personal Consumption in the USSR and USA, New York, St. Martin’s Press, 1989. Voir également Robert D. English, Russia and the Idea of the West : Gorbachev, Intellectuals, and the End of the Cold War, New York, Columbia University Press, 2000, et Stephen Kotkin, Armageddon Averted : The Soviet Collapse, 1970-2000, New York, Oxford University Press, 2001, p. 22-44.

58  Nicholas J. Cull, The Cold War and the United States Information Agency : American Propaganda and Public Diplomacy, 1945-1989, New York, Cambridge University Press, 2008, p. 382, p. 409, p. 440.

59  Orville Schell, Discos and Democracy : China in the Throes of Reform, New York, Pantheon, 1988, p. 16-8, citation, p. 110-111 [citation].

60  Orville Schell, Discos and Democracy, op. cit., p. 16-8 et p. 110-111 ; Jian Wang, Foreign Advertising in China : Becoming Global, Becoming Local, Wiley-Blackwell, 2000, p. 92 ; Jing Wang, Brand New China : Advertising, Media, and Commercial Culture, Cambridge, Harvard University Press, 2008, p. 8.

61  Jing Wang, Brand New China, op. cit., p. ix-x, 16-19, 23-25, 44-45, 108.

62  Deborah S. Davis, « Introduction : A Revolution in Consumption », dans Deborah S. Davis (dir), The Consumer Revolution in Urban China, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 1-22 ; Hanlong Lu, « To Be Relatively Comfortable in an Egalitarian Society », dans Deborah S. Davis (dir.), The Consumer Revolution in Urban China, op. cit., p. 124-41 ; Geremie R. Barmé, In the Red, op. cit., p. 236-239, Antonia Finanne, Changing Clothes in China, op. cit., p. 257-302 (sur la mode).

63  Yunxiang Yan, « Of Hamburger and Social Space : Consuming McDonald’s in Beijing », dans Deborah S. Davis (dir.), The Consumer Revolution in Urban China, op. cit., p. 201-225 ; et James Farrer, « Dancing through the Market Transition : Disco and Dance Hall Sociability in Shanghai », dans Deborah S. Davis (dir.), The Consumer Revolution in Urban China, op. cit., p. 226-49. Les articles dans l’ouvrage dirigé par Kevin Latham, Stuart Thompson, et Jakob Klein (Consuming China : Approaches to Cultural Change in Contemporary China, New York, Routledge, 2006) présentent la consommation comme un aspect des pratiques culturelles de la Chine contemporaine. Voir plus particulièrement l’article d’Elisabeth J. Croll, « Conjuring Goods, Identities, and Cultures », art. cit., p. 22-30.

64  Christopher Andrew, Vasili Mitrokhin, The World Was Going Our Way : The KGB and the Battle for the Third World, New York, Basic Books, 2005, p. 480-482, Odd Arne Westad, Global Cold War : Third World Interventions and the Making of Our Times, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 250-395.

65  Gary Cross, An All-Consuming Century, op. cit., p. 1.

66  Thomas L. Friedman, Hot, Flat, and Crowded : Why We Need a Green Revolution and How It Can Renew America, New York, Farrar, Straus, and Giroux, 2008.

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